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Débat parlementaire sur les retraites

Débat parlementaire sur les Retraites 7 ème journée 17 juin 2003

La journée de 17 juin a vu la discussion et le vote sur les articles 2 et 3.

Vous trouverez en annexe 1 la question au gouvernement posée par Alain Bocquet lors de la traditionnelle séance du après-midi. Elle porte sur l’envoi de la lettre aux Français par Raffarin.

En annexe 2, la séance de après-midi avec les éléments concernant les interventions des députés communistes qui portent sur le niveau des pensions (Jean-Pierre Brard) la question de l’équité (Jean-Claude Sandrier, François Liberti, Jacques Dessalangre). En annexe 3, la séance de en soirée, avec les amendements défendus par les députés communistes qui portaient essentiellemnt sur la question de l’équité (Maxime Gremetz, Daniel Paul, Jacques Dessalangre, André Chassaigne puis Jean-Claude Sandrier, Jacques Dessalangre, André Chassaigne et enfin Daniel Paul).

Ensemble de la discussion disponible sur le site de l’Assemblée Nationale http://www.assemblee-nationale.fr au chapitre « Compte-Rendu des débats » et sur le site de la section de Bourges du PCF : www.pcf-bourges.org

Jean-Michel GUERINEAU Attaché parlementaire de J-C SANDRIER


Annexe 1 17 juin Après-midi. Questions au Gouvernement RÉFORME DES RETRAITES

M. Alain Bocquet - Monsieur le Premier ministre (« Le quorum ! » sur les bancs du groupe UMP), vous aviez dit qu’après le temps de la négociation viendrait celui du débat au Parlement. Mais la donne a si bien changé que vous avez voulu adresser une lettre aux Français sur le projet de réforme des retraites. A moins de considérer avec Jean-François Revel que la communication sert à expliquer que les échecs sont des succès, voilà qui est loin du débat parlementaire. En interpellant le peuple, vous le faites entrer dans le débat. C’est que votre projet ne passe pas comme une lettre à la poste ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Les grèves, les manifestations et les 65 % de Français qui se disent opposés à la réforme en témoignent (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe UMP).Vous prétendez entendre le peuple : ne vous arrêtez pas en si bon chemin ! Notre histoire sociale est rythmée par les grands rendez-vous : Matignon en 1936 - les congés payés, les 40 heures - Grenelle en 1968 - la hausse des salaires et la reconnaissance des droits syndicaux. Une majorité de Français souhaitent la reprise des négociations avec les syndicats non signataires de l’accord. Vous vous honoreriez, à l’image de vos illustres prédécesseurs, en convoquant une conférence sur les retraites à Matignon afin de conclure un nouvel accord, sur lequel le peuple serait invité à trancher par le référendum. C’est en effet à lui qu’appartient le dernier mot sur un projet qui engage son avenir, qui représente un enjeu de société, un enjeu de civilisation.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Alain Bocquet - Il est temps que le débat prenne sa dimension démocratique (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Nul n’est plus mal placé que vous pour prétendre que le Gouvernement escamote le débat parlementaire. Voilà six jours que nous débattons et si vous n’aviez pas demandé le quorum à minuit cinq, nous aurions voté cette nuit l’article 2 du projet, qui en compte 80. Le Premier ministre a bien le droit d’écrire aux Français pour les informer sur cette réforme fondamentale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Il a même le devoir de le faire, compte tenu de la campagne de désinformation sans précédent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) qui est menée. Il y a urgence à réformer devant le choc démographique que vous minimisez depuis des jours et des jours. Il y a urgence à sauver notre régime de retraite par répartition. La réforme ne compromet pas le niveau des pensions (« Mais si ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

 : elle l’améliore, en garantissant 85 % du SMIC

(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). C’est une réforme de justice sociale qui met fin à des inégalités insupportables entre le public et le privé. Elle ne remet pas en cause la retraite à soixante ans

(« Si ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

En fait, cette lettre vous gêne parce qu’elle dit la vérité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et parce qu’elle révèle ce qui fait la différence fondamentale entre la majorité actuelle et la précédente : le courage ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations et protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Annexe 2 17 juin Après-midi

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant réforme des retraites.

APRES L’ARTICLE 2

M. Maxime Gremetz - Nous sommes là au coeur du débat. On peut proposer tout ce qu’on voudra sur les annuités, le niveau des pensions, etc. La question centrale reste : comment financer ? Ce débat ne date pas d’aujourd’hui, et nous ne l’avons pas résolu hier. Nous avons cependant progressé. Je pense par exemple à la cotisation sur les bénéfices, qui n’a rapporté que trois milliards. Dans le cas des retraites, on s’interroge sur la répartition entre actifs et inactifs, point final. Pourtant, quand la sécurité sociale a été construite, elle reposait à la fois sur les cotisations salariales et sur les cotisations patronales. Comment s’en sortirait-on aujourd’hui, alors que les cotisations patronales - contrairement à la richesse produite, et aux profits - n’ont pas augmenté depuis 25 ans ? Qui plus est vous réduisez cette assiette de 110 milliards d’exonérations de cotisations patronales ! On ne peut résumer le problème à un face à face entre actifs ou inactifs. La part de la richesse produite consacrée aux retraites a diminué de façon significative. Je précise d’autre part que les revenus financiers que nous visons, ce sont les placements financiers, de l’argent qui ne va ni à l’investissement, ni à la formation, ni aux hommes, mais à la spéculation. Ces placements financiers des entreprises sont passés de 8,2 milliards en 1985 à 149 milliards en 2000 ! Cette inflation est d’ailleurs en partie rendue possible par les exonérations de cotisations patronales. Par ailleurs, en France, les revenus du capital représentent 40 % du PIB, contre 33 % aux Etats-Unis et 31 % en Grande-Bretagne : les capitalistes français, à qui vous ne cessez de faire des cadeaux, se portent beaucoup mieux que les capitalistes américains ! C’est la preuve qu’il y a bien un choix à faire, un choix entre les demandes incessantes du Medef et les aspirations des retraités.

ARTICLE 3

M. Jean-Pierre Brard - Monsieur le Ministre, vous avez déclaré ceci : « Comment la CGT pourrait-elle, avec l’histoire et la culture qui sont les siennes, soutenir une réforme des retraites ? Néanmoins, elle a participé à l’intégralité de la négociation et à la rédaction des principes généraux de la réforme qui font l’objet des trois premiers articles. » Solidarité, contributivité, équité, tels sont en effet les principes auxquels vous vous référez d’emblée pour bâillonner vos éventuels contradicteurs (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Mais ils sont contredits par la baisse des pensions que programme votre réforme, conjuguée à celle de M. Balladur. Et en réalité, nous sommes dans une course au « toujours moins ». L’égalité entre public et privé consiste en fait en un alignement sur la situation dégradée des salariés du secteur privé, qu’il s’agisse de la durée de cotisation ou du niveau des retraites. Selon le COR, pour les ouvriers et les employés, la pension moyenne est de 1 260 € dans le secteur privé et de 1 210 € dans le secteur public. Il y a donc quasi-égalité. Sous l’effet des réformes Balladur et Fillon, les salariés du public comme du privé vont perdre entre 250 et 300 € d’ici 2020. C’est l’égalité dans la régression ! L’opposition « public-privé », montée en épingle par le Medef pour dénoncer les privilèges dont bénéficieraient les fonctionnaires et les agents publics, est abusive. Certes, il existe des inégalités en matière de retraites entre salariés du privé et agents publics. Elles étaient d’ailleurs beaucoup plus importantes à l’origine, c’est-à-dire au lendemain de la Libération. Mais elles n’ont cessé de se réduire année après année et le niveau de garantie offert par les régimes spéciaux constituait un horizon auquel tout le monde pouvait un jour prétendre. Le contexte a changé. La réforme de 1993 du régime de base et les accords de 1996 en matière de retraites complémentaires AGIRC et ARRCO ont cassé ce processus de rattrapage. Le patronat, comme le Gouvernement, sont d’ailleurs peu bavards sur les conséquences des décisions prises à cette époque pour les salariés du privé. Le Medef a lui aussi tout intérêt à masquer cette réalité, et cela l’amène à donner des chiffres faux. Alors que le taux de remplacement est quasiment égal dans le public et le privé pour des salaires moyens - soit 76 % dans les deux cas pour un salaire mensuel de 2 000 € - le Medef prétend que la retraite moyenne d’un agent public est supérieure de 65 % à celle d’un salarié du privé. C’est un mensonge. L’écart est en réalité beaucoup plus modeste - il n’est que de 38 % dans la fonction publique de l’Etat - et s’explique en totalité par un effet de structure, la moitié des agents publics de l’Etat étant cadres alors que les cadres c’est le cas de 20 % seulement des salariés du secteur privé. Une fois cet effet de structure corrigé, il n’y a plus d’avantage relatif pour les fonctionnaires. J’ajoute que, lorsque je parle des salaires du privé, je ne compte pas les salaires et avantages divers de MM. Seillière et consorts - qui changeraient pourtant certainement la perception que l’on a des salaires des fonctionnaires...

M. Jean-Claude Sandrier - Monsieur le ministre, pour avoir un vrai débat, il faut s’écouter. Or quand le président de notre groupe, M. Bocquet, vous a posé une question, vous avez répondu à côté. Vous avez justifié la lettre adressée aux Français par le Premier ministre, alors que M. Bocquet ne la mettait nullement en cause : il demandait, au contraire, que le Premier ministre aille au bout de sa démarche et consulte le peuple par référendum. Sur ce point, vous n’avez pas répondu. Cet article 3 parle beaucoup d’équité, et l’on comprend bien pourquoi : il s’agit d’aligner les systèmes de retraites par le bas. L’équité est-elle donc forcément synonyme de dégradation ? Un traitement équitable, c’est d’abord une retraite décente qui n’oblige pas des salariés à travailler au-delà de 60 ans - ou 65 ans, voire, demain, 70 ans, comme aux Etats-Unis - parce que leurs ressources sont trop faibles, fournissant ainsi, au patronat une main d’_uvre expérimentée et à bas prix. A votre avis, un patron préférera-t-il embaucher un retraité en « emploi vieux », au rabais, ou un jeune en CDI ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) En procédant ainsi, vous plombez l’emploi et le renouvellement des générations dans l’entreprise. Cette prétendue équité, vous la voulez « quel que soit le régime de retraite ». C’est ouvrir la porte à la remise en cause des régimes spéciaux, alors qu’ils devraient servir de référence. L’équité, c’est pour vous le cache-sexe du recul social !

(Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

L’équité n’a de sens que si elle marque un progrès. Cela impliquerait le droit à la retraite à 60 ans à taux plein et l’indexation des pensions sur la création de richesses. Monsieur le ministre, vous dites que vous ne voulez pas financer les retraites par l’impôt. Cela se discute. Mais ce que nous proposons, c’est d’abord d’augmenter le produit des cotisations en créant des emplois - 300 000 nouveaux emplois par an pendant dix ans, cela représente 60 milliards d’euros de cotisations en plus ! Et puisque vous parlez d’équité, je relève qu’en vingt ans les cotisations patronales ont baissé de deux points, alors que celles des salariés ont augmenté de 11 à 18 points. L’équité, cela signifie aussi taxer les revenus des placements financiers. Enfin et surtout, l’équité c’est une répartition différente de la richesse créée entre le capital et les salaires : la dégradation de 10 points de la part des salaires coûte 150 milliards d’euros par an en cotisations vieillesse ! Cet article 3 n’est pas l’affirmation d’une valeur, il est la porte ouverte à une nouvelle régression sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. François Liberti - Répondre au défi démographique est certes indispensable. D’ici à 2040, le nombre des retraités aura doublé. Il faut donc rechercher des solutions nouvelles, non pour imposer le recul social que vous présentez comme la moins mauvaise des solutions, mais pour faire de la réforme des retraites une grande avancée sociale, comme le propose notre projet alternatif. L’espérance de vie a augmenté et la tendance devrait se poursuivre, notamment grâce aux progrès de la médecine. Mais l’allongement de la vie dépend aussi de facteurs sociaux : environnement, conditions de vie et de travail. C’est dire qu’un recul est possible, comme le montrent les exemples des pays de l’Est ou de l’Afrique. Les inégalités, l’augmentation de la durée du travail, le chômage peuvent peser en ce sens. Le nombre de naissances dépend lui aussi de facteurs complexes. En Europe, seules l’Irlande et peut-être la France assurent aujourd’hui le renouvellement des générations. Nous refusons tout fatalisme en la matière. La politique familiale, les crises économiques ont un impact propre. Le taux de natalité et le nombre des actifs à moyen terme ne sont donc pas connus d’avance, et les choix politiques sont essentiels. Le moins-disant social n’est pas la bonne réponse. Entre 1959 et 1990, la part des prestations vieillesse dans le PIB est passée de 5,9 % à 12 %, soit un accroissement de près de sept points, sans que le principe de la retraite par répartition soit remis en cause pour autant. Selon le COR, le PIB sera multiplié par deux d’ici 2040. 18 % de ce PIB sera consacré aux retraites, 82 % aux actifs et aux investissements. Il est donc possible de financer le système de retraite par répartition. Cela ne dépend pas du nombre de retraités, mais de la capacité contributive des actifs. Depuis vingt ans, les taux de cotisations patronales diminuent tandis que les cotisations salariales et la CSG augmentent. On voit bien dans quel sens il faut corriger les choses. Ce n’est pas ce que vous faites avec les nouveaux cadeaux fiscaux accordés aux entreprises. Au-delà de la question de la répartition des richesses, notre pays ne peut assumer une réforme de son système de retraite qu’en s’appuyant sur une vraie politique de l’emploi et des salaires. Un million de chômeurs en moins, c’est un point de PIB supplémentaire en moins à consacrer aux pensions en 2040. Dans cette perspective, nous proposons une refonte globale du financement de notre système de retraite de la sécurité sociale, afin de remettre en cause la fuite en avant dans les exonérations de cotisations sociales patronales, aux moyens d’une incitation sélective à la mobilisation du crédit pour sécuriser l’emploi et la formation.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. François Liberti - Créer une sécurité d’emploi et de formation permettant de répondre au problème des retraites en rompant avec la logique que vous défendez bec et ongles. L’emploi, la révolution technologique et les droits des salariés seraient ainsi réconciliés. Car il ne faut pas seulement mieux partager, il faut aussi modifier le contenu de la croissance (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jacques Desallangre - Disons-le sans détours : vous ne pourrez pas tenir l’engagement apparemment généreux de l’article 3. L’allongement de la durée de la vie n’a pas empêché les patrons de « virer » ceux qu’ils considèrent comme des salariés improductifs. L’allongement de la durée de cotisation n’améliorera donc pas le taux d’activité des plus de 55 ans. Ils partiront simplement avec une retraite amputée. Après avoir été remerciés brutalement, ils devront vivre avec des revenus amoindris. Où est l’équité ? Votre projet est économiquement absurde car la charge reposera sur les seuls salariés et retraités. Vous refusez d’ouvrir le débat sur la modification de l’assiette des cotisations, seule solution pour assurer un traitement équitable aux assurés. La retraite est une cause nationale, qui est au c_ur de notre pacte républicain. C’est bien à la société dans son ensemble à trouver une solution équitable pour son financement ! La question n’est donc pas celle de l’allongement de la durée de vie, mais celle du financement du régime. Pourquoi n’avez-vous pas proposé de modifier l’assiette des cotisations, assises sur la seule masse salariale ? Je crains d’avoir la réponse : vous avez un parti pris idéologique, celui du Medef. La réforme est indispensable, non à cause de l’allongement de la durée de la vie, mais en raison des évolutions économiques structurelles des trente dernières années. Il y a vingt ans, la part des salaires dans la valeur ajoutée était de 73 %. Elle n’est plus que de 62 % aujourd’hui. Dans le même temps, les gains de productivité, ont permis de doubler le PIB, ou presque. En vingt-cinq ou trente ans, la nation est donc devenue deux fois plus riche, mais la rémunération du facteur travail décroît. Or la totalité de nos régimes de solidarité reposent sur la seule masse salariale. Iniquité encore, inefficacité encore. Il est absurde de prétendre réformer le financement des retraites si l’on continue de faire reposer les recettes sur la seule masse salariale. Le seul moyen de sauvegarder à long terme la retraite par répartition est d’étendre l’assiette de cotisations à la richesse produite par la nation. La richesse devrait doubler dans les vingt prochaines années. : il suffirait donc d’élargir l’assiette des cotisation de retraite à la valeur ajoutée créée par les entreprises. L’effort à consentir au cours des quarante prochaines années sera bien inférieur à celui déjà supporté par les seuls salariés ! de 1960 à 2000, le PIB a augmenté de 7 % ; de 2000 à 2040, il augmentera encore de 4 %... Par la réforme de l’assiette des cotisations, nous obtiendrons une meilleure répartition de l’effort et un rééquilibrage des charges pesant sur l’emploi. Seraient ainsi équitablement mis à contribution les revenus du travail et ceux du capital. Les entreprises participeraient à hauteur de leur capacité contributive, et non proportionnellement à leur intensité de main-d’_uvre, ce qui n’est favorable ni à l’emploi ni aux retraites : je vous renvoie aux pages 103 et 95 du rapport Charpin - qui n’est pourtant pas mon livre de chevet. Les travaux du COR corroborent cette analyse : oui, il est possible d’assurer un haut niveau de retraite et de garantir le droit au départ à 60 ans à taux plein si l’on accepte d’élargir l’assiette des cotisations. Le déficit de 43 milliards que vous annoncez pour 2020 représente un besoin de financement de 2,5 milliards par an, soit 0,16 % du PIB. La nation peut et doit consentir cet effort. Il est d’ailleurs surprenant que le Gouvernement prétende combler le déficit structurel des retraites en omettant d’utiliser le levier du taux d’activité. Mais pour cela, il aurait fallu qu’il mène une vraie politique de l’emploi. Quand l’emploi progresse, les régimes sociaux retrouvent l’équilibre. Or, la sécurité sociale replonge dans le rouge : près de 130 000 emplois ont été détruits en un an ! Votre gouvernement a sa part de responsabilité dans la politique de l’emploi et le taux d’activité. Si vous acceptiez d’engager une réelle réforme de l’assiette de cotisations, vous pourriez rééquilibrer la charge pesant sur les salariés et sur les entreprises. Les entreprises à forte intensité de main-d’_uvre bénéficieraient d’allégements de charge leur permettant de créer des emplois. En revanche, les secteurs à haute intensité capitalistique qui ont remplacé les ouvriers par des machines ou qui tirent une part de leurs revenus des marchés financiers et de la spéculation verraient leur contribution à l’intérêt général augmenter. Il faut réorienter les priorités vers la création de vraies richesses. Il est insensé qu’une société employant 2 000 personnes soit davantage taxée qu’une société réalisant les mêmes bénéfices avec seulement vingt salariés. Si nous n’agissons pas, nous devrons demain corriger les conséquences désastreuses de vos choix, qui sont fondés sur une injustice sociale. Autrement, la belle affirmation de votre article 3 risque de rester lettre morte (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Annexe 3

17 juin Soirée

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant réforme des retraites.

M. Maxime Gremetz - Il y a cinquante ans, déjà, le gouvernement Laniel préconisait des mesures comparables aux vôtres : recul de deux ans de l’âge de la retraite, nouvelle classification de catégories - actifs et sédentaires -, licenciements d’auxiliaires. Il s’agissait d’abord de réduire les charges publiques. On pouvait lire alors : « De tous les décrets, ceux qui auront fait le plus de bruit sont ceux qui ont trait aux personnels de l’Etat et des entreprises publiques. Pourtant, ils n’apportent que peu de changement au régime des retraites, tout au moins en ce qui concerne les fonctionnaires. Un recul de deux ans de la limite d’âge paraît justifié par l’évolution démographique ». Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ces projets avaient mis des millions de personnes dans la rue, mais, à la différence du vôtre, le Gouvernement de l’époque avait eu la sagesse de retirer le décret-loi contesté par la majorité des salariés. Vous seriez bien inspiré de vous inspirer de cet exemple, alors qu’aux termes d’une enquête d’opinion publiée cet après-midi, 54 % des français considèrent que « non, cette réforme ne va rien régler »...

M. Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires sociales - Et les sondages parus la veille du 21 avril 2002, que disaient-ils ?

M. Maxime Gremetz - Vous tentez d’appliquer de vieux remèdes, mais ils ne résoudront rien. Certes, il y a un problème démographique, mais vous ne prévoyez pour le résoudre que de faire travailler les gens plus longtemps, alors qu’il y a déjà dans ce pays trois millions de demandeurs d’emploi, trois millions et demi de travailleurs précaires et deux millions de salariés qui effectuent un temps partiel le plus souvent subi et non choisi. Dans un tel contexte, comment imaginer de faire travailler des gens jusqu’à 65 ans et au-delà si leur situation l’exige ? Alors, vous dites que l’équité est bien préservée puisque tout un chacun aura le droit de partir à 60 ans. Peut-être, mais avec quel niveau de pension si le nombre d’annuités requises n’est pas atteint ? Vous renvoyez la prise en compte de la pénibilité au bon vouloir des employeurs et ne dites rien de la retraite anticipée, qui constituait pourtant un acquis essentiel...

M. le Président - Monsieur Gremetz, on ne se lasse pas de vous entendre mais il faut conclure !

(Rires sur les bancs du groupe UMP).

M. Maxime Gremetz - J’attire votre attention sur le fait que le projet de loi supprime l’acquis majeur que représentait la retraite anticipée, en particulier pour certaines professions dont celles - et je parle d’expérience - qui exposaient à l’amiante.

M. Daniel Paul - L’article 3 oppose l’équité à l’égalité, et appréhende l’exercice du droit à la retraite comme une forme de morale sociale qui tient de la charité publique. Sa rédaction traduit une conception tout anglo-saxonne du « welfare state », avec une retraite conçue comme un minimum vital, alors qu’il devrait s’agir de respecter le principe de la solidarité entre salariés en activité et salariés ayant cessé leur activité. De plus, l’article nie la spécificité de certains régimes de retraites ; où est donc l’équité ? Alors qu’une part importante des cotisations est acquittée par l’Etat au lieu de l’être par les entreprises, un certain nombre de retraités ont le mauvais goût de vouloir bénéficier de l’allongement de la durée de la vie. Et que faites-vous ? Vous imposez l’augmentation des cotisations aux uns, et aux autres la réduction du montant des prestations servies. Voilà la philosophie qui sous-tend l’article 3 ! La spécificité des régimes de retraite doit être maintenue, ainsi que la compensation qui fait, par exemple, que l’équilibre du régime agricole est obtenu en ponctionnant largement les régimes de fonctionnaires. Au demeurant, le maintien de la spécificité ne rompt pas le principe d’égalité entre les retraités, le niveau des prestations étant fixé en fonction de paramètres parfaitement admissibles. Et si, dans certains cas, l’argent public doit assurer la pérennité de certains régimes en difficulté, cela ne doit pas se faire, comme trop souvent, par des ponctions plus ou moins autoritaires sur les « magots » dont disposeraient une caisse de retraite ou une autre. Nous ne voulons pas de la répartition équitable de la misère que promet l’article, et c’est pourquoi nous demandons par l’amendement 3353 sa suppression.

M. Jacques Desallangre - L’amendement 3354 a le même objet. Vous prétendez résoudre le problème du financement des retraites en désignant des coupables - les fonctionnaires - et en allongeant de un à trois ans la durée de cotisation des salariés du privé, ce qui ne réglera rien. Votre réforme concerne la caisse de l’Etat et, comme il n’y a pas de fongibilité des régimes, vos propositions n’équilibreront jamais les comptes de la caisse nationale d’assurance vieillesse.

M. André Chassaigne - Pour justifier la suppression de cet article, je vais vous parler d’un de ces privilégiés qui partent à la retraite à 55 ans. Celui-là gagne de 1 500 à 1 800 euros chaque mois en fonction de son ancienneté et, selon les statistiques, son espérance de vie est de sept ans inférieure à celle d’un cadre supérieur. Il est très souvent éloigné de sa famille, puisqu’il est contrôleur à la SNCF (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP). Ce privilégié, quelle est sa vie ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Il commence à travailler à minuit... (Mêmes mouvements)

M. le Président - Laissez M. Chassaigne s’exprimer.

M. André Chassaigne - ...arrive à 6 heures, et devra dormir dans un foyer, dans le bruit des allées et venues incessantes de cent à cent cinquante occupants des lieux. Il repartira de ce foyer à 16 heures pour un départ à 18 heures, et une arrivée à 24 heures. Il disposera alors de 45 minutes pour rendre ses comptes et faire son rapport, et reprendra son travail le matin même, à 11 heures, pour une deuxième nuit dans les mêmes conditions

(Exclamations et mouvements divers sur les bancs du groupe UMP).

Telles sont les conditions de travail d’un contrôleur de train à la SNCF, auxquelles s’ajoutent le stress et l’insécurité. Et voilà un exemple type de ces « privilégiés » que vous condamnez régulièrement, et dont la vie de famille est obérée par ces multiples contraintes horaires. Peut-on comparer ce mode vie à celui d’un cadre supérieur ? (Huées sur les bancs du groupe UMP) Peut-on ne pas tenir compte de la spécificité de ce travail ? Peut-on prétendre aligner toutes les retraites sans prendre en considération la pénibilité de certaines tâches ?

(Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Maxime Gremetz - Rappel au Règlement fondé sur l’article 58, alinéa 1, de celui-ci. Les réactions sur les bancs de la majorité, où l’on ignore ce qu’est la vie de ces travailleurs, sont indécentes. Je demande une suspension de séance.

M. Jean-Claude Sandrier - L’amendement 3367 précise la rédaction de cet article. Le Gouvernement y martèle son souci d’assurer aux retraités un traitement équitable. Faut-il en déduire que les dispositions propres à certains régimes devraient être revues à la baisse au motif qu’elles seraient inéquitables ? L’article 3 s’inscrit dans le droit fil de la réforme Balladur, laquelle, il faut le souligner, n’a pas évité à nos régimes de retraite des difficultés de financement majeures. Les solutions que vous proposez aujourd’hui ne sont pas plus efficaces, et l’on ne consolidera notre système qu’en soutenant la croissance et l’emploi. L’amendement affirme que les assurés bénéficient - et non « doivent pouvoir bénéficier » - d’un traitement équitable au regard de la retraite. Il ne faut laisser aucune part de condionnalité dans un tel engagement : le droit à un traitement équitable ne doit pas être hypothétique mais effectif.

M. Jacques Desallangre - Notre amendement 3368 remplace également l’expression « doivent pouvoir bénéficier » par l’indicatif « bénéficient »...

M. le Rapporteur - Ça change tout !

M. Jacques Desallangre - Oui, car un tel engagement ne peut souffrir le risque d’une quelconque incertitude. Il doit être formulé sans ambiguïté (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. André Chassaigne - Le rapporteur qui connaît si mal la loi qu’il n’a pas compris qu’elle s’appliquait effectivement aux agents de la SNCF, vient de dire ironiquement à mon collègue : « Ça change tout ». De fait, selon que l’on écrit « doivent bénéficier », « peuvent bénéficier » ou « bénéficient », les interprétations diffèrent considérablement. A l’évidence, vous n’avez pas voulu retenir la dernière formulation, pourtant conforme aux articles 2 - « tout retraité a droit » - et 4 - « la nation se fixe pour objectif » - parce que vous la jugiez trop directe. C’est à elle que je vous propose de revenir par l’amendement 3 370. Pour votre part, vous avez choisi de compliquer encore les choses en écrivant « doivent pouvoir bénéficier ». Cette phrase alambiquée donne à l’application de cet article un caractère fort hypothétique. La langue française exige plus de légèreté. Comme l’écrit Boileau dans son Art poétique : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : polissez-le sans cesse et le repolissez, ajoutez quelquefois et souvent enlevez » (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Daniel Paul - Cet article 3 est décidément marqué par une conception étroite de l’égalité de traitement entre assurés des divers régimes de retraite par répartition. Ainsi, on parle des régimes de retraite dont les assurés « dépendent », ce qui sous-entend que les salariés sont en quelque sorte contraints de cotiser et qu’il y aurait là une atteinte à la liberté individuelle. Etrange conception de la participation de chacun au financement des retraites, et donc à l’exercice de la solidarité entre les générations... Depuis plus de vingt ans, les salariés sont privés du droit d’élire les conseils d’administration des caisses de retraite du régime général, parce qu’aucune disposition législative ne le permet. Les ordonnances Juppé laissaient d’ailleurs persister cette anomalie. La rédaction proposée s’inscrit dans la même logique et entérine ce manque évident de démocratie, à laquelle nous estimons, quant à nous, qu’il est temps de mettre un terme. Les cotisations d’aujourd’hui financent les prestations servies aujourd’hui ; elles ne constituent pas une épargne pour des prestations futures. Il faut donc renforcer le lien entre les assurés, les cotisants et les régimes de retraite auxquels ils sont rattachés. Tel est le sens de l’amendement 3365, identique au précédent, qui propose, au lieu de ce lien de dépendance, l’idée que les assurés « relèvent » d’un régime de retraite géré de façon démocratique.

M. le Ministre de la fonction publique - Sagesse.

Les amendements 1144 et 3365, mis aux voix, sont adoptés.

L’article 3, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu, cet après-midi, 18 juin à 15 heures.

La séance est levée à 1 heure.


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