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Débat parlementaire sur les retraites

Débat parlementaire sur les Retraites 4ème et 5 ème journée 13 et 14 juin 2003

La journée de 13 et 14 juin a vu le début de la discussion sur les amendements qui précèdent l’article 1. Cet article 1 n’a toujours pas été abordé.

Vous trouverez en annexe les éléments concernant les interventions des députés communistes qui portent sur le service minimum en cas de grève dans le secteur public (Maxime Gremetz, matin, Annexe 1), sur le lien entre emploi et hauteur des cotisations (Daniel Paul, Muguette Jacquaint, Michel Vaxès, matin, Annexe 2) et sur la question des baisses et exonérations de charges (Daniel Paul, Jean-Pierre Brard, Michel Vaxès, François Asensi, Muguette Jacquaint, André Gérin, après-midi, Annexe 3). Ensemble de la discussion disponible sur le site de l’Assemblée Nationale http://www.assemblee-nationale.fr au chapitre « Compte-Rendu des débats » et sur le site de la section de Bourges du PCF : www.pcf-bourges.org

Jean-Michel GUERINEAU Attaché parlementaire de J-C SANDRIER


Annexe 2 14 juin Matinée

Mme la Présidente - Les amendements 3 276 à 3 282 sont identiques.

M. Daniel Paul - Afin de pérenniser le financement des retraites, nous proposons, par l’amendement 3 276, de moduler les cotisations sociales des entreprises en faisant entrer un peu d’éthique dans la gestion des ressources humaines et en encourageant le développement de l’emploi. Les services chargés du recouvrement des cotisations sociales seraient chargés de procéder à une évaluation de la politique de l’emploi menée dans l’entreprise, en observant l’évolution de la part occupée par les salaires dans la valeur ajoutée globale - composée de la somme des richesses produites et des produits financiers. En cas d’augmentation de cette part, un coefficient réducteur serait appliqué aux cotisations ; dans le cas contraire, on appliquerait un coefficient amplificateur. Ainsi les politiques de déflation salariale seraient-elles pénalisées et les politiques de création d’emplois et d’augmentation des salaires encouragées. Ce dispositif pourrait se substituer aux actuels dispositifs incitatifs, qui consistent à alléger les cotisations sur les basses rémunérations et constituent ainsi une formidable incitation au développement du travail non qualifié - ou plutôt à qualification non reconnue. Nous proposons également, dans le même esprit, de créer une cotisation sociale assise sur les revenus financiers des entreprises.

Mme Muguette Jacquaint - Je défends l’amendement 3 277. Le Gouvernement repousse à 2008 la question du financement, pourtant primordiale. Il prévoit d’augmenter le taux de cotisation de 0,2 % au 1er janvier 2006, ce qui rapportera un peu plus de 900 millions d’euros, ce qui reste très en deçà du besoin de financement global à l’horizon 2020. Sur la base d’un taux de chômage de 5 %, ce besoin est évalué en effet à 9,8 milliards d’euros, ce qui représente environ trois points de cotisation. Si le taux de chômage restait à son niveau actuel, soit 9 %, il faudrait trouver 13 milliards d’euros. Le Gouvernement estime qu’en ramenant le taux de chômage à 5 % grâce à sa politique d’allégement des cotisations patronales, on pourrait affecter les cotisations de chômage excédentaires au financement des retraites. Mais la moitié des cotisations chômage représentent 3 % des cotisations retraites : c’est un marché de dupes ! L’expérience montre qu’une politique d’exonération des cotisations patronales n’a jamais d’impact sur la création d’emplois. En revanche, une baisse des retraites aura un effet négatif sur la consommation des ménages. N’oublions pas que la part des plus de soixante ans dans la population va augmenter de moitié dans les prochaines décennies et que leur consommation est importante et créatrice d’emplois, notamment dans le secteur des loisirs. Il est paradoxal de voir le Gouvernement insister sur l’urgence d’une réforme, avant l’apparition des déficits, et repousser, dans le même temps, la réforme du financement à 2008, au moment de l’apparition de ces déficits. La réforme doit, au contraire, être engagée immédiatement si l’on veut qu’elle soit progressive. Le groupe des députés communistes et républicains propose de fonder la réforme sur une augmentation des cotisations patronales, bloquées au même niveau depuis 25 ans, et un élargissement de leur assiette à la valeur ajoutée.

M. Michel Vaxès - Je défendrai l’amendement 3280. Monsieur le ministre, vous fondez votre réforme sur la seule évolution démographique, et ses effets sur le rapport entre les actifs et les retraités, alors que l’explosion du chômage et la montée de la précarité sont les facteurs-clés de la crise du financement de la protection sociale, et des retraites en particulier. La composition de la population active s’est peu à peu modifiée, du fait de la montée du chômage, et de l’entrée toujours plus tardive des jeunes sur le marché du travail. Entre 1974 et 1996, l’emploi global n’a augmenté, en France, que de 1,6 %, alors que la population active progressait de 19,8 %. Autre phénomène : l’éviction massive du marché du travail des salariés les plus âgés, sous forme de licenciements déguisés en préretraites, ainsi que l’a dit Mme Jacquaint. La France est, avec la Belgique et les Pays-Bas, l’un des pays européens où le taux d’activité des plus de 55 ans est le plus faible. Les deux tiers des personnes arrivant à l’âge légal de la retraite sont déjà sorties du marché du travail ! C’est à cette politique qu’une réforme profonde du financement des retraites devrait s’attaquer. A cet égard, nous proposons de modifier le mode de cotisation des entreprises, en faveur de celles qui créent des emplois, augmentent les salaires, améliorent la qualification et renflouent les fonds sociaux pour la formation et le financement de la protection sociale. Ces entreprises devraient payer moins de cotisations que celles qui privilégient les placements financiers. L’assiette des cotisations serait alors modifiée pour intégrer les produits financiers, contrairement à la CSG qui ne prend en compte que les revenus financiers des ménages - le taux de cotisation serait d’autant plus bas que le rapport entre la valeur ajoutée produite et les salaires serait bas. Cette réforme, tout en générant de nouvelles ressources pour le financement de la protection sociale, inciterait à un développement économique plus vertueux.

Mme Muguette Jacquaint - Les autres amendements sont défendus.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Le Gouvernement a inscrit dans ce texte l’élargissement des missions de la COR à une réflexion sur la diversification des financements sociaux, notamment de la vieillesse, ce qui permettra d’écarter nombre d’hypothèses irréalistes, voire utopiques. Je pense notamment à la taxation de la valeur ajoutée qui pose le problème de la compétitivité des entreprises dans une économie ouverte, même si ce débat doit avoir lieu pour éviter certains dérapages dans la distribution. Il en va de même de la taxation des revenus financiers, notamment dans les entreprises. Asseoir le financement des retraites sur des ressources fluctuantes n’est pas une solution. Et puis, quid des périodes défavorables, quand les revenus financiers sont négatifs ? Du reste, même en période favorable, leur produit ne suffirait pas à financer le centième des besoins.

M. le Rapporteur pour avis de la commission des finances - Avec ces amendements, vous explorez de nouvelles sources de financement, et vous vous démarquez de vos collègues socialistes qui prônent une augmentation de la CSG. Malheureusement, et M. Gremetz l’a reconnu, vos propositions ne sont pas à la hauteur des enjeux, puisqu’il faudrait, si l’on vous suit, 100 milliards d’euros en 2020. Par ailleurs, les produits du capital sont déjà taxés, notamment à 2 % pour alimenter le fonds de réserve des retraites. Vous proposez de moduler le taux de cotisation sociale, en fonction du ratio salaire-valeur ajoutée, mais quelle est votre visibilité à moyen terme pour assurer un financement efficace de notre système de retraite ? Ne voyez-vous pas le risque qu’à travail égal, les salariés soient taxés différemment ? Il reste aussi à vérifier la viabilité juridique d’un tel dispositif. Cela étant, nous sommes persuadés que toute augmentation des cotisations sociales, même patronales, au titre des charges des entreprises, finirait par pénaliser les salariés, sans pour autant répondre aux enjeux de la réforme.

M. le Ministre des affaires sociales - J’ai déjà répondu sur la taxation de la valeur ajoutée. Pour ce qui est de la création d’une cotisation sociale supplémentaire sur les revenus financiers, je rappelle que ces derniers sont déjà taxés à hauteur de 10 % pour financer la protection sociale, par le biais de la CSG, de la CRDS et du prélèvement spécifique de 2 %. De surcroît, nous ne pouvons déroger à nos engagements européens, notamment sur la monnaie unique et l’ouverture des marchés (Mme Jacquaint s’exclame). Les ressources proposées par le parti communiste ne sont pas à la mesure des besoins.

Mme la Présidente - Sur le vote des amendements identiques 3276 à 3282, je suis saisie par le groupe communiste et républicain d’une demande de scrutin public.

M. Denis Jacquat - Nous avons bien compris la teneur du projet du parti communiste, mais il n’est pas adapté à la situation de notre pays. Nous rejoignons donc les deux rapporteurs et le ministre.

M. Michel Vaxès - Les objections des rapporteurs, du Gouvernement et de la majorité s’inscrivent dans une logique et un choix de société qui ne sont pas les nôtres. La question fondamentale est en effet celle de la société dans laquelle nous voulons vivre. Même si le système actuel ne nous convient pas, des marges de man_uvre existent. C’est le sens de nos amendements. Contrairement à ce que vous voulez faire croire aux Français, l’alternative que nous proposons est crédible puisque nous faisons des propositions de financement. Pour garantir à chacun un haut niveau de pension et une retraite à taux plein dès 37,5 annuités de cotisation, nous proposons d’élargir l’assiette des prélèvements sur les revenus financiers des entreprises, des banques, des assurances et des ménages fortunés - 23 milliards d’euros de recettes - de moduler les cotisations vieillesse des entreprises en fonction de l’effort qu’elles fournissent en matière de création d’emplois, de salaires et de formation - 15 à 17 milliards de recettes - et de mettre fin aux exonérations de cotisations patronales, qui alimentent le déficit de la sécurité sociale. Les 18 milliards correspondants seraient utilisés pour diminuer de façon sélective le coût du crédit aux entreprises, afin de favoriser les investissements orientés vers l’emploi et la formation. Nous arrivons bien au total de 26 milliards d’euros. A terme, d’ailleurs, les cotisations évolueraient dans les mêmes proportions que l’emploi, ce qui assurerait le financement des mesures que nous proposons. A la majorité de 107 voix contre 11 sur 119 votants et 118 suffrages exprimés, les amendements 3276 à 3282 , mis aux voix, ne sont pas adoptés

Annexe 3 14 juin après-midi

M. Daniel Paul - Je souhaite répondre à l’un de nos collègues de l’UMP qui, ce matin, reprochait à nos propositions de « tuer l’emploi ». Chacun connaît Plandio et Ferries, l’un des grands groupes mondiaux du transport maritime. Cette entreprise supprime trente emplois au Havre et vingt-deux à Cherbourg, soit le tiers des effectifs. Raisons invoquées, les difficultés de compétitivité, mais en fait, l’entreprise doit servir aux actionnaires une rentabilité égale à 15 % en moyenne sur l’année, ce qui ne peut être atteint que dans quelques ports. D’où la décision de supprimer tout ce qui pèse sur cette rentabilité. La deuxième étape sera sans aucun doute la vente de ce secteur à un autre groupe qui lui se tournera vers l’Etat en disant : « Nous sommes prêts à reprendre cette activité, à condition que vous nous donniez quelques aides publiques ». En même temps, le nombre de salariés et les conditions d’emploi seront considérablement modifiées. Ce n’est pas les propositions du groupe communiste qui tuent l’emploi, ce sont les pratiques de ces firmes. Il ne s’agit pas de répondre au défi du financement des retraites par une seule mesure mais bien par un ensemble de mesures. Tel est le sens de notre amendement 3297. Il convient en particulier de supprimer les exonérations de charges patronales, qui ont explosé : 16 milliards d’euros inscrits au budget. Pour combien d’emplois créés ou sauvés ? Selon les objectifs, 300 000 en dix ans. Excusez du peu : 16 milliards d’euros pour 30 000 emplois créés par an ! Quel intérêt, pour une entreprise, d’augmenter les salaires dans de telles conditions ? Il faut chercher ailleurs d’autres sources de financement, favoriser les entreprises qui créent des emplois, augmentent les salaires, encouragent la formation des salariés. Au contraire, ce sont les entreprises qui préconisent le travail, font appel à la sous-traitance, externalisent, qui sont aujourd’hui favorisées. Ce n’est pas ainsi que l’on pourra développer notre protection sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Pierre Brard - L’amendement 3303 est défendu. Nous entendons bien vos propos. Si nous n’en sommes plus au disque vinyle, Monsieur le ministre, vous me faites penser aux disques rayés. Vous répétez toujours la même chose (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). J’ai cité hier la dépêche de l’AFP qui faisait état de ce que, pour la première fois, le nombre d’emplois créés a baissé de 0,3 %. C’est l’effet des politiques d’abaissement des charges. Contrairement à ce que vous prétendez, le coût du travail n’est pas chez nous plus cher qu’ailleurs. Vous continuez à répéter des contrevérités à tel point que, comme il y a un prix Goncourt en littérature, il faudrait créer dans le champ politique le trophée Pinocchio. Et il faudrait sans doute élargir la première marche du podium. Sur quelle marche placer votre collègue Jean-François Copé ? Face à Bernard Thibault, dans Le Monde, il n’a pas osé soutenir de contrevérités. Sortez donc de l’idéologie, pour entrer dans l’économie ! (Exclamations, rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Il faut parier sur la qualification et donc sur la valeur et le coût du travail ! Nous allons dans le mur, et plus on s’en rapproche, sans doute pour abréger vos souffrances et augmenter celles de vos victimes, plus vous accélérez. Prenez l’exemple des métiers du bâtiment. Si des chantiers comportent des malfaçons, à qui la faute ? A Bouygues et consorts, à ceux qui ont voulu payer le moins possible en éliminant l’emploi qualifié et bien rémunéré. La baisse des charges ne favorise pas l’économie, vous le savez. M. Cova, qui a la main agile, montre qu’avec un tour de passe-passe, on peut s’en sortir. Des sous, il y en a, croyez-en le mensuel Challenges ! Ainsi, votre amie Liliane Bettencourt (Rires) n’a vu sa fortune progresser « que » de 70 % en quatre ans, pour s’établir à 17 milliards. Mais puisque l’on m’accuse de m’acharner contre elle, je la laisserai de côté, pour m’intéresser, avec toute la compassion requise, au sort de Bernard Arnaud, son suivant immédiat dans la liste des plus grandes fortunes de France, dont les avoirs ont fondu, passant de 20 à 13 milliards. Et comment ne pas mentionner M. Mulliez, qui vient ensuite, et ses 13 milliards ? Les Français, qui font leurs courses dans les magasins Auchan parce qu’ils trouvent les prix intéressants se rendent-ils suffisamment compte que ces achats sont surtout intéressants pour la famille Mulliez, dont les poches se remplissent à mesure que les caisses font « ding-ding » ? (Rires sur divers bancs ; applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. le Président - Je suis saisi par le groupe communiste et républicain d’une demande de scrutin public.

M. Michel Vaxès - En défendant l’amendement 3301, je ne reviendrai pas sur la démonstration faite par mes collèges que l’exonération de charges patronales est contre-productive. Je souhaite plutôt comprendre pourquoi vous vous obstinez à répéter qu’il faut, pour l’appliquer, avoir le courage de s’attaquer à la domination des marchés financiers. Ce sont des mesures en ce sens que nous proposons, celles qui permettraient un progrès social car elles sécuriseraient notre système de retraite par une politique de l’emploi déterminée. D’évidence, tout projet de réforme des retraites doit s’inscrire dans une construction d’ensemble, comme ce fut le cas lors de la création de la sécurité sociale. Bien sûr, il faut trouver un financement ! Mais comment la France, qui a su financer la sécurité sociale alors qu’elle sortait, exsangue, de cinq années d’une guerre meurtrière, pourrait-elle ne pas le trouver aujourd’hui ? Seulement, il ne s’agit pas d’un simple problème de répartition. Ce qu’il faut, c’est changer les conditions de la production, et donc le type de croissance recherchée, en sécurisant l’emploi par la qualité.

Un député UMP - A la cubaine ?

M. Michel Vaxès - Il faut des emplois de meilleure qualité, et des salariés mieux formés et mieux payés. Cet emploi, plus efficace, dégagera davantage de valeur ajoutée, disponible pour financer la protection sociale. Voilà pourquoi nos propositions alternatives s’inscrivent dans un cadre global. Il faut mettre un terme aux exonérations de charges patronales et mobiliser les 18 milliards ainsi récupérés pour instaurer un système d’aides sélectives au crédit en faveur des entreprises qui favorisent la formation, investissement au service de l’emploi.

M. François Asensi - Le ministre nous explique qu’il serait casse-cou de supprimer les exonérations de charges patronales au motif que cela mettrait en péril des entreprises soumises à la concurrence internationale. Mais comment explique-t-il alors la perte de 49 000 emplois au premier trimestre, tant dans l’industrie que dans le secteur tertiaire ? Seul le bâtiment continue de créer des emplois, en raison, sans doute, des efforts consentis par la puissance publique en faveur de l’investissement dans ce secteur. Comment le Gouvernement explique-t-il cette importante perte d’emplois, alors même que les exonérations de charges sont maintenues ? Cette contradiction appelle des éclaircissements.

Mme Muguette Jacquaint - Je souhaite défendre l’amendement 3 301. M. le Président - Cet amendement a été défendu par votre camarade Michel Vaxès, mais je ne doute pas que vous aurez d’autres occasions de vous exprimer sous peu (Sourires). A la majorité de 113 voix contre 16 sur 137 votants et 129 suffrages exprimés, les amendements 3 297, 3 301 et 3 303 ne sont pas adoptés.

Mme Muguette Jacquaint - L’entrée en vigueur de la retraite à 60 ans a été saluée par tous comme un progrès social. Plus encore, c’est un progrès de civilisation. Le système de retraite mis au point au sortir de la Deuxième Guerre mondiale garantissait un peu de sécurité aux anciens. En 1982, le départ à la retraite à 60 ans a constitué une nouvelle avancée, car c’est une mesure de justice qui offre une meilleure qualité de vie aux personnes âgées. Les manifestations ont montré que cette question est au c_ur des préoccupations, ce qui s’explique sans mal. Une société dont les ressources augmentent se doit d’offrir de meilleures conditions de vie aux plus âgés des siens. C’est ce à quoi tend l’amendement 3 189. Dans un pays dont la richesse, le PIB et la productivité augmentent, il serait inconcevable de revenir sur ce progrès social. La retraite à 60 ans est emblématique d’une conception de la société. C’est pourquoi personne ne la remet en cause frontalement et le Gouvernement proclame y être attaché. De fait, la loi n’empêchera pas les salariés de partir à soixante ans. Mais quelles seront pour eux les conséquences financières ? Les salariés modestes devront-il s’épuiser au travail ? Je ne veux pas dire « vive le capitalisme japonais », car, a-t-on appris, plus de trois cents Japonais sont récemment morts de fatigue parce qu’ils ont dû travailler jusqu’à 70 ans. Ce n’est pas ce que nous voulons !

M. Jean-Pierre Brard - Il est écrit « Liberté, égalité, fraternité » non seulement au fronton de nos bâtiments républicains mais aussi dans l’esprit de beaucoup d’entre nous. Or, quand nous parlons de partir à la retraite à soixante ans à taux plein, vous répondez, Monsieur le ministre, qu’il n’y a pas d’argent pour cela. Pourtant, dans notre pays dont l’égalité est un des piliers, vous faites en sorte que certains vivent de façon plus confortable que d’autres. Voici ce que je lis dans l’excellent petit ouvrage de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, intitulé Sociologie de la bourgeoisie : « Le grand bourgeois doit être sans arrêt reconnu comme grand bourgeois. Pour cela, il doit toujours payer de sa personne, être dans les cocktails qui comptent, dans les tribunes des hippodromes, aux premières d’opéra ou dans les vernissages » (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Je comprends que cela vous dérange. La fortune, si elle donne du pouvoir, ne fournit pas pour autant des cotisations pour les retraites (Mêmes mouvements). « Un grand bourgeois ne meurt jamais tout à fait. Il donne son nom à une avenue, il écrit ses mémoires, son fils reprend l’affaire qui porte son nom (...). Les grands bourgeois sont surtout les principaux clients des créateurs et du marché de l’art », que vous ne voulez pas taxer (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Vous n’allez pas lire tout le livre !

M. Jean-Pierre Brard - « L’avenir de cette classe apparaît prometteur. Elle est à peu près la seule à exister encore réellement en tant que classe ». Ces gens-là, quand ont-ils le temps d’exercer un emploi salarié pour cotiser ? Pourtant ce sont eux qui pompent la substance de la nation.

M. André Gerin - Monsieur le ministre, vous insistez dans l’exposé des motifs sur la valorisation du travail. Cela nous rend perplexes, lorsque nous voyons baisser régulièrement les salaires et le pouvoir d’achat, s’accroître la spéculation financière qui plombe l’emploi, se généraliser la précarité et la flexibilité du travail. Votre politique, votre logique libérale, la loi du marché, en réalité, tuent l’emploi. Comment concevoir, dans ces conditions, une juste réforme des retraites ? Notre amendement 3187 s’inscrit dans cette problématique des salaires et du pouvoir d’achat, à laquelle vous tournez le dos. On mesure aujourd’hui, partout, la perte de crédibilité et de légitimité du capitalisme.

M. le Président - Nous en venons à une série d’amendements identiques, les amendements 3283 à 3289.

Mme Muguette Jacquaint - L’amendement 3283 est défendu.

M. François Asensi - En vingt ans, la part des salaires dans la valeur ajoutée a régressé de dix points alors même que la productivité du travail augmentait de 50 %. Entre 1992 et 1999, l’excédent brut d’exploitation des entreprises a augmenté de 14,3 %, les salaires de seulement 6,7 %. Sur les vingt dernières années, les employeurs n’ont vu augmenter leur taux de cotisations sociales que de 1,8 %, contre 8,2 % pour le salariés. Les cotisations vieillesse acquittées par les entreprises sont passées de 64 à 56 % du total en quinze ans, la part des salariés augmentant corrélativement. Ce n’est pas le coût du travail qui est trop élevé, mais celui du capital. La masse salariale ne représente guère plus de 15 % des coûts dans les grandes entreprises. En vingt ans, le taux d’imposition moyen des revenus du travail en Europe est passé de 35 à 41 %, tandis que la taxation des revenus du capital était réduite. Voilà pourquoi il importe d’élargir l’assiette des cotisations sociales à l’ensemble des éléments de la rémunération du travail. C’est ce à quoi tend l’amendement 3285.

Mme Muguette Jacquaint - La base de financement des cotisations sociales accuse une nette tendance à la baisse, alors même que la productivité du travail et le PIB augmentent. Dans de nombreuses entreprises, ce sont les efforts individualisés de rémunération qui prévalent désormais. Le cas limite est celui des plans d’option d’achat d’actions offerts à leurs salariés par les grands groupes et leurs filiales, qui se libèrent ainsi de leur obligation de financement de la protection sociale. Nombre d’éléments de rémunération ne sont pas soumis aux cotisations sociales. Cela apporte peut-être un complément de rémunération appréciable, mais cela affaiblit le taux de remplacement au moment de la liquidation des droits. Certains fonctionnaires de l’Etat touchent 30 % de leur rémunération en indemnités : le taux de remplacement ne porte que sur les 70 % restants. Élargir l’assiette des cotisations à l’ensemble des rémunérations, comme le propose l’amendement 3287, permettrait d’accroître le produit des cotisations mais aussi d’améliorer le niveau des prestations et donc le pouvoir d’achat des retraites et des pensions.

M. Jean-Pierre Brard - Notre amendement 3289 est identique. Vous n’avez évoqué cette importante question de l’assiette des cotisations vieillesse que pour les salariés âgés. Trois axes de réforme sont pourtant envisageables. D’abord le reprofilage, qui consiste à moduler le taux de cotisation en fonction du niveau de salaire. Le rapport Malinvaud suggère ainsi de réduire le taux pour les salaires inférieurs à deux fois le SMIC. Le risque est évidemment d’élargir le champ des bas salaires. Deuxième axe : l’élargissement de l’assiette à la valeur ajoutée, aux revenus financiers, à des éléments qui échappent actuellement à la cotisation comme les stock-options. Troisième axe, la modulation du taux de cotisation en fonction de critères comme les performances des entreprises en matière d’emploi. Nous partons de deux constats fondamentaux. Tout d’abord, le régime actuel est pervers car l’entreprise peut faire diminuer sa contribution en réduisant sa masse salariale, alors que lorsqu’elle augmente cette dernière, elle cotise davantage. Ce système pénalise l’emploi et la qualification. Il faut inverser cette logique pour inciter les entreprises à créer des emplois qualifiés et à augmenter les salaires. Ensuite, l’économie française souffre d’une insuffisance chronique des investissements productifs, les investissements financiers étant jugés plus rentables. Il faut, là encore, inverser cette logique. Ces constats justifient un double élargissement de l’assiette et une modulation des taux de cotisation. Il s’agit d’intégrer dans l’assiette certaines formes de rémunération ainsi que les revenus financiers des entreprises qui échappent actuellement à une cotisation. Il s’agit également de différencier les taux de cotisation en fonction de la masse salariale et de la gestion financière des entreprises. Reconnaissez que cette logique tient la route et répond à des critères économiques qui, il est vrai, n’ont rien à voir avec la dynamique de libéralisme échevelé dans laquelle vous vous inscrivez - ce qui m’étonne, compte tenu de vos anciennes fidélités (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Président - Les amendements 3290 à 3296 sont identiques.

M. Michel Vaxès - Par l’amendement 3294, nous proposons que la part patronale dans les cotisations sociales soit revalorisée d’un montant fixé par décret pour rattraper sa parité avec la part salariale, sur une base 100 en 1979. Il faut corriger, en effet, d’intolérables injustices. Pendant des décennies, les cotisations patronales et salariales ont évolué parallèlement or, depuis quelque temps, l’effort est de plus en plus inégalement partagé. Les diminutions des cotisations patronales, depuis 1993, sont de plus en plus sensibles : les allégements, il y a dix ans, représentaient moins d’un milliard d’euros ; en 2002, ils étaient de 21 milliards. C’est autant d’argent en moins dans les caisses de la sécurité sociale et en particulier dans la caisse nationale d’assurance vieillesse. Ces allégements, plus importants pour les salaires proches du SMIC, n’ont cessé de tirer les qualifications vers le bas et de réduire, avec les rémunérations, les possibilités de financement des retraites. Dans le même temps, les normes de rentabilité de plus en plus forte imposées par les marchés financiers ont poussé les entreprises à une substitution du capital au travail fatale à l’emploi, à la croissance, au financement de la sécurité sociale. La part de la masse salariale par rapport aux revenus du capital dans la valeur ajoutée a globalement diminué de dix points depuis 1983. En remplaçant des hommes par des machines, en maintenant de larges couches de la population dans une longue formation, le patronat s’est rendu responsable d’une croissance en berne - 1 % l’année dernière - et des déficits de notre protection sociale. Contrairement à ce que prétend le Gouvernement, les évolutions démographiques ne sont donc pas les principales causes du problème des retraites. Rétablir l’équilibre des cotisations salariales et patronales impliquerait de porter le taux de ces dernières à 11,6 %, soit 3,4 points de plus qu’actuellement. Ce serait réalisable en dix ans, à raison d’une augmentation très raisonnable de 0,34 % par an.

M. Jean-Pierre Brard - L’histoire connaît des bonds qualitatifs, mais aussi des régressions. Le gouvernement Balladur a été à l’origine d’une telle régression, en 1993 mais vous, Monsieur le ministre, vous êtes dans le registre de la rupture ! Nous vous avons pourtant vu autre, lorsque vous batailliez contre le traité de Maastricht, contre la capitulation et la résignation ! Mais, contrairement aux bons vins, vous ne vous bonifiez pas en vieillissant ! (Mouvements divers) Le lettré que vous êtes n’ignore pourtant rien de ce que notre histoire a eu de moments humanistes et progressistes. Malgré cela, vous choisissez le recul social à grande vitesse ! Comment, à ce moment, ne pas rappeler les conceptions de Jaurès qui voyait en l’Etat l’instance de régulation des conflits sociaux et de redistribution des richesses ? Vous, vous obligez les gens à arpenter les rues pour se faire entendre ! Jaurès était l’inspirateur principal du congrès de Tours du parti socialiste, en 1902, congrès qui adopta des propositions jugées, à l’époque, révolutionnaires, et que vos prédécesseurs, les libéraux-sociaux, critiquèrent. De quoi s’agissait-il ? D’instituer une assurance sociale pour tous les travailleurs et de limiter les prélèvements sur leur salaire à un tiers, les deux tiers restants étant à la charge de l’Etat et des employeurs C’est avec cette tradition que vous êtes en rupture ; ce faisant, vous tournez la société française vers le XIXe siècle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. François Asensi - Il est regrettable que le Gouvernement refuse cet amendement, s’arc-boutant ainsi sur les arguments du Medef selon lesquels il faut réduire le coût du travail, toute augmentation de ce coût ayant des effets néfastes pour les entreprises, soumises à la concurrence. Je m’inscris en faux contre ces assertions. Lorsque, en 1990, l’Union européenne a pris la décision, à l’unanimité, de libérer totalement la circulation des capitaux sans harmoniser la fiscalité des Etats membres, les détenteurs de ces capitaux se sont immédiatement mis en quête des pays qui offraient les avantages fiscaux les plus importants - et, de préférence, le secret bancaire en prime, comme le Luxembourg. Et il se trouve que la France, quoi que prétendent certains, ne fait pas fuir les capitaux, bien au contraire, puisqu’elle figure au quatrième rang en terme d’attractivité. Non seulement la part de l’impôt sur le revenu y est particulièrement plus élevée, mais la taxation, essentiellement indirecte, y est particulièrement injuste. Quant au coût du travail, il est loin d’être le seul argument de choix pour les investisseurs, qui apprécient aussi les aspects culturels et sociaux de notre pays, et l’excellence du fonctionnement de ses services publics. Contrairement à ce qui est dit, nous sommes donc très bien placés.

A la majorité de 112 voix contre 8 sur 120 votants et 120 suffrages exprimés, l’amendement 3290 et les amendements identiques 3291 à 3296, ne sont pas adoptés.


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